CHALLENGE

Je me suis fait piquer par une fourmi balle de fusil

Une expérience pour mieux comprendre d'où vient la douleur.

Temps de lecture estimé :
7
min
Publié le
12/2/2021

Je me suis fait piquer par une fourmi balle de fusil.

C’était à Kéköldi, une réserve Bribri située au Costa Rica.

Voilà la bête

Si cette fourmi est célèbre, c’est parce que sa piqûre est réputée comme l’une des plus douloureuses du règne animal.

Place à l’expérimentation :

Je me suis lancé ce défi pour deux raisons :

  1. Embrasser une peur.
  2. Comprendre les mécanismes liés à la douleur.

Dans cet article, je vais vous partager les résultats de cette expérience et de mes recherches.

Le rapport à la douleur

Cette fourmi est plutôt populaire :

  • La vidéo de Hamish & Andy cumule plus de 4 millions de vues.
  • La vidéo de Brave Wilderness a dépassé les 60 millions de vues.
  • Ma vidéo a également réalisé plusieurs millions de vues entre YouTube et TikTok.

Nous réagissons tous différemment à la douleur. Ce qu’il est important de comprendre, c’est que la douleur est un mécanisme de défense essentiel à notre survie. Elle nous informe qu'une partie de notre corps est endommagée ou qu'il y a un problème. Cependant, la façon dont nous la ressentons varie d'une personne à l'autre.

Nous ne ressentons pas les mêmes sensations car nos corps sont différents. Il en va de même pour nos esprits. Il est bien difficile de se calmer lorsque l’on est anxieux ou angoissé.

Aujourd’hui, nous avons tendance à fuir toute forme de douleur. Nous grandissons dans des environnements aseptisés. Nous nous plaignons à la moindre difficulté. Cette fois, je n’ai pas cherché à fuir la douleur. Je l’ai accueillie. C’est parce que je suis bien dans mon corps et dans ma tête que j’ai surmonté cette épreuve sans perdre le contrôle. Aussi, je m’étais préparé mentalement.

Les 3 phases du challenge

Phase 1 : Préparation

J’avais cette idée depuis longtemps. Quand j’ai demandé à Kasho s’il pouvait m’aider à trouver des fourmis balles de fusil, il m’a répondu :

« Rdv jungle demain 6h »

L’appréhension est montée d’un coup.

Pour ne pas succomber à la panique, j’ai décidé de continuer ma journée normalement. Lorsque j’y pensais, je visualisais le moment, en imaginant me calmer malgré la douleur.

Le pouvoir de la visualisation est incroyable. Je m’en servirai pour de nombreux autres challenges, par exemple pour préparer des plongées en profondeur ou avant mon combat de muay thai.

Le soir, pour m’endormir, j’ai utilisé une technique de respiration apprise lors de ma formation d’apnéiste. Le lendemain matin, je me suis réveillé à 5 heures pétantes, calme et prêt à en découdre.

Phase 2 : Courage

Une fois à Kéköldi, nous avons très vite trouvé les fourmis.

Kasho en a attrapé une, et j’ai eu l’impression que l’instant suivant, je l’entendais déjà me dire “3, 2, 1”. Ce n’est plus le moment de douter. Une hésitation mènerait à beaucoup plus d’appréhension.

Lorsque j’ai résumé 100 livres de développement personnel, j’ai découvert la règle des 5 secondes de Mel Robbins. L’idée est la suivante :

« Si vous avez une impulsion pour agir vers un objectif, vous devez le faire physiquement dans les 5 secondes ou votre cerveau tuera l'idée. »

Elle ajoute :

« Un moment de courage peut changer une journée. Une journée peut changer une vie. Une vie peut changer le monde. »

Alors, j’ai tendu mon bras.

On m’entend légèrement paniquer quand je vois que le dard de la fourmi est coincé dans mon bras. 3 secondes plus tard, la douleur est arrivée, fulgurante, pure.

Phase 3 : Mental

La douleur se stabilise assez vite. Pendant les trois premières heures, il est très difficile d’en faire abstraction. Mon bras était dur comme de la pierre.

Puis, progressivement, la douleur diminue. Après 6 heures, la sensation n’est plus que désagréable. Cette gêne restera bien pendant 24 heures. Ensuite, mon bras est resté rouge et m’a démangé pendant quelques jours.

Comme dans toute épreuve d’endurance, c’est au mental que cela se joue. Je pense que j’ai gardé le contrôle parce que je suis resté relax. Je n’étais pas là pour le spectacle. J’étais là pour comprendre ce qu’il se passait dans mon corps.

Chaque personne vivant cette expérience en aura une interprétation différente. D’ailleurs, je vous déconseille de vous faire piquer volontairement sans être accompagné et préparé. Vous pouvez faire un choc allergique. Vous êtes prévenus.

L’échelle de la douleur de Schmidt

Justin O. Schmidt, un entomologiste américain prix Nobel en 2015, est le créateur de l'échelle de la douleur de Schmidt de la pénibilité des piqûres d'insectes.

Il s’est fait piquer par presque tous les types d'abeilles, de guêpes et de fourmis, pour construire un index :

  • 1,0 : les petites abeilles comme les Halictidae : douleur légère, éphémère.
  • 1,2 : la fourmi de feu (Solenopsis invicta) : douleur aiguë, soudaine, légèrement alarmante.
  • 1,8 : la fourmi d'acacia (Pseudomyrmex ferruginea) : douleur rare, perçante, élevée.
  • 2,0 : l'abeille européenne
  • 2,0 : Frelon : douleur riche.
  • 2,0 : Guêpe Vespula : douleur chaude et fumante.
  • 2,x : Abeille asiatique (Apis cerana), abeille africanisée et frelon européen.
  • 3,0 : Fourmi rouge moissonneuse (Red harvester ant) : douleur grasse et persistante.
  • 3,0 : Guêpe Polistes : douleur caustique et brûlante.
  • 4,0 : Guêpe Synoeca : douleur comparable à de la torture.
  • 4,0 : Guêpe Pepsis : douleur aveuglante, féroce, électrique.
  • 4,0+ : Fourmi Paraponera, notamment la clavata (fourmi balle de fusil) : douleur pure, intense, brillante.

Selon ses propres mots :

« Je suis convaincu que les fourmis balles sont le Saint Graal des insectes piqueurs et délivrent la piqûre la plus douloureuse de tous les insectes sur Terre. »

Pourquoi cette piqûre fait mal ?

La douleur provoquée par une piqûre d’insecte dépend de plusieurs facteurs comme sa taille, la quantité de venin injecté et les propriétés chimiques du cocktail.

Pour la Paraponera Clavata, la douleur est due à un mélange d'acide formique et de ponératoxine dans son venin. Cette dernière interfère avec les canaux d’ions sodium dans nos cellules nerveuses, ce qui intensifie le signal de douleur.

Notre corps se meut grâce à la capacité des cellules nerveuses à envoyer des signaux électriques d’un endroit à un autre, par exemple du cerveau à un muscle.

On peut voir les canaux d’ions sodium comme des écluses, s’ouvrant et se fermant pour faire passer les signaux. La ponératoxine vient forcer ces écluses à rester ouvertes, créant une prolongation du potentiel d’action.

Pour comprendre ce processus, examinons comment fonctionne un influx nerveux.

La membrane d’une cellule nerveuse délimite son intérieur du milieu extérieur.

De part et d’autre de l’écluse, on retrouve des ions sodium (Na+) et des ions potassium (K+). Au repos, les ions sodium sont majoritairement situés à l’extérieur, et les ions potassium à l’intérieur (le cytoplasme). Ce déséquilibre est maintenu grâce à la pompe sodium/potassium qui permet des échanges dans les deux sens.

L’intérieur du neurone est chargé plus négativement que le milieu extracellulaire. Ce potentiel de repos est égal à -70mV. On dit que le neurone est polarisé.

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Phase 1 : Excitation

Pour qu’un neurone relaie un message nerveux à travers l’axone (qui connecte les neurones entre eux), il doit être excité au-delà d’un certain seuil (−55 mV en général).

Phase 2 : Dépolarisation

Lorsque la membrane du neurone est déstabilisée, les canaux s’ouvrent. L’écluse à sodium (Na+) est la plus rapide à s’ouvrir, entraînant une arrivée massive d’ions Na+ à l’intérieur du neurone.

Dans Na+, il y a +. Tous ces + qui arrivent dans le neurone vont le rendre moins négatif.

Phase 3 : Repolarisation

Alors que les canaux à Na+ se ferment, les canaux à K+ s’ouvrent à leur tour. Les ions potassium sortent alors du neurone.

Phase 4 : Hyperpolarisation

Les canaux à potassium restent ouverts plus longtemps que nécessaire. De nombreux ions K+ sortiront, ce qui diminuera le potentiel intracellulaire au-delà des -70mV de repos.

Phase 5 : Période réfractaire

Heureusement, la nature est bien faite. La pompe Na+/K+, qui permet des échanges dans les deux sens (un peu comme un sas de décompression), va rétablir l’équilibre en faisant passer juste ce qu’il faut dans chaque sens.

Le signal électrique passe ainsi à travers l’axone, jusqu’au prochain neurone, et ainsi de suite. Imaginez maintenant que ce signal indique un problème dans votre organisme, comme un venin qui vient d’être injecté. Il va remonter jusqu’au cerveau qui va l’interpréter comme une douleur.

La ponératoxine empêche les canaux d’ions sodium de se refermer, générant une autoroute pour les signaux nerveux responsables de la douleur.

Pour simplifier, retenez que :

  • Un influx nerveux est envoyé au cerveau qui l’interprète comme une douleur.
  • La ponératoxine empêche la régulation de ces influx nerveux.
  • L’information de la douleur est donc transmise en continue.

Rite initiatique

Certaines populations indigènes amazoniennes utilisent ces fourmis dans des rites de passage à l’âge adulte.

Ils confectionnent différents types de nattes de feuillage ou de joncs pour en faire des gants ou des plastrons dans lesquels des fourmis sont coincées.

Voici quelques images :

Pour ma part, cette piqûre symbolise également un changement.

Ma première quête était de montrer que tout peut s'apprendre. C'était le fil conducteur de mes défis jusqu'à présent.

Désormais, ma quête sera de chercher à dépasser mes barrières mentales.

Ulysse Lubin signature

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