Miyamoto Musashi me fascine.
Cet homme, considéré comme l'un des plus grands escrimeurs de l'histoire, fait partie de ces personnages qui, en dépit des siècles qui nous séparent, ont eu un impact significatif sur ma vie.
Aujourd’hui, j’aimerais revenir sur ses enseignements.
Sommaire
- L’ère d’Edo
- La voie de l’épée
- Le flow
- L’artiste vagabond
- Le vide
- Le Dokkōdō
- Conclusion
L’ère d’Edo
Miyamoto Musashi vécut à l’ère d’Edo.
Cette époque fut marquée par deux éléments :
- L’unification du Japon
- L’avènement des armes à feu
L’unification du Japon
L'histoire du Japon est aussi rocambolesque que le scénario de Game of Thrones.
Durant de longues périodes, le Japon était une île instable, avec des conflits et des trahisons successifs. Si ce sujet vous intéresse, je vous recommande la série Netflix Age of Samurai: Battle for Japan.
Après la bataille décisive de Sekigahara en 1600, qui opposait le clan Toyotomi (les perdants) à celui des Tokugawa (les vainqueurs), le Japon s'est trouvé unifié et a connu une stabilité relative pendant près de trois siècles.
De nombreux guerriers se retrouvèrent sans emploi. Certains, qui n'avaient vécu que par l'épée, cherchèrent un nouveau sens à leur vie, notamment à travers les arts.
Musashi fut l'un d'entre eux.
L’avènement des armes à feu
Entre le XVIe et le XVIIe siècle, les armes à feu ont commencé à dominer les champs de bataille au Japon.
Le combat au corps à corps, perdant sa pertinence militaire, s'est progressivement transformé en arts martiaux, prenant désormais une dimension philosophique.
Le katana n'était plus seulement un outil pour tuer, mais également l'instrument de la maîtrise de soi.
C'est cette quête, la voie de l'épée, que Musashi a poursuivie.
« Si vous souhaitez contrôler les autres, vous devez d'abord vous contrôler. »
- Miyamoto Musashi
La voie de l’épée
Être fort. Qu’est-ce que cela signifie ?
Musashi a consacré sa vie à essayer de répondre à cette question.
Son premier duel officiel fut contre Arima Kihei. Lorsque ce guerrier de l'école d'escrime Shintō visita la province de Harima, il installa une palissade en bambou sur un terrain vacant près de la rivière Soho. Kihei y afficha un avis signalant qu'il était disponible pour un duel avec quiconque le souhaitait. Musashi renversa la palissade, engagea le combat et le tua. Il n'avait alors que 13 ans.
À l'âge de 16 ans, certaines sources rapportent qu'il aurait participé à la bataille de Sekigahara. Toutefois, des recherches plus approfondies suggèrent que, pendant cette période, Musashi se trouvait plus au sud, sur l'île de Kyushu, participant au siège du château de Tomiku pour le compte de Kuroda Yoshitaka, le seigneur de son père.
Plus tard, il participa à d'autres batailles, telles que le siège du château d'Osaka ou la rébellion de Shimabara.
La légende raconte qu'il aurait défié et anéanti seul la célèbre école d'escrime Yoshioka. Bien que des duels aient effectivement eu lieu, notamment contre Yoshioka Seijūrō Naotsuna et Yoshioka Denshichirō Naoshige, l'affrontement mythique à 1 contre 79 qui aurait eu lieu au pied du pin parasol au temple d'Ichijō-ji de Kyoto est en réalité une exagération issue du roman éponyme publié par Eiji Yoshikawa entre 1935 et 1939.
À 30 ans, il avait déjà risqué sa vie dans une soixantaine de duels, tous remportés. Alors que ses adversaires se présentaient avec de vrais sabres, lui combattait la plupart du temps avec des bokkens (sabres en bois).
Le duel le plus célèbre de Musashi fut probablement celui contre son rival Sasaki Kojirō. Tous deux étaient reconnus comme parmi les meilleurs bretteurs du Japon. Ils mesuraient chacun près d'1m80, ce qui était incroyablement grand pour l'époque où la taille moyenne des hommes était plutôt d'environ 1m60.
Le combat eut lieu sur les rives de l'île Ganryū. Il existe de nombreuses versions de ce duel, mais toutes s'accordent sur un point : Miyamoto en sortit vainqueur, mettant ainsi fin à la vie de Sasaki.
« La seule raison pour laquelle un guerrier est en vie est de se battre, et la seule raison pour laquelle un guerrier se bat est de gagner. »
- Miyamoto Musashi
Le flow
Être fort. Est-ce être un en pensée et en action ?
Je suis très inspiré par le Jeet Kune Do de Bruce Lee, sa philosophie de vie déclinée en art martial. Sur son emblème, on peut lire “N'utiliser aucune méthode comme méthode” et “N'avoir aucune limite comme limite”.
Bruce Lee était en quête du chemin le plus efficace vers la victoire. Il étudiait ainsi différents arts martiaux, absorbant ce qui lui semblait utile, rejetant ce qui ne l'était pas, et ajoutant ce qui lui était propre.
Telle est la devise du Jeet Kune Do.
Après des années à perfectionner son art, il arriva à cette simple et célèbre conclusion : “Be water, my friend”.
« Empty your mind. Be formless, shapeless, like water. You put water into a cup, it becomes the cup. You put water into a bottle, it becomes the bottle. You put it into a teapot, it becomes the teapot. Now water can flow or it can crash. Be water, my friend. »
- Bruce Lee
Je ne peux m'empêcher de penser à Bruce Lee comme étant le successeur de Musashi.
Dans son Livre des cinq anneaux, Miyamoto décrivait, 330 ans plus tôt, le concept de flow. Il y explique comment combattre sans décider consciemment du coup à privilégier et comment les techniques ne sont que des outils au service d'un but unique : trancher l'ennemi, peu importe les moyens.
Il évoque cette idée sous le nom de “Munen Muso”, que l'on pourrait traduire par “Sans désir et sans pensée”, qu'il applique plus largement au combat.
« La fixation est le chemin de la mort, la fluidité est le chemin de la vie. »
- Miyamoto Musashi
L’artiste vagabond
Être fort. Est-ce rester en mouvement ?
Miyamoto Musashi, bien que faisant partie de la caste des samouraïs, n'a jamais consacré sa vie à servir un unique seigneur. Il a passé de nombreuses années à voyager à travers le Japon. C'était un épéiste itinérant, un ronin.
De voyage en voyage, il méditait sur la signification profonde de la vie en tant que guerrier. Il était un véritable adepte de l'introspection (comme Musashi, mais sans le sabre, découvrez votre chemin grâce à l’atelier d’introspection).
Je me suis souvent demandé comment il aurait vécu au XXIe siècle.
Un artiste martial est avant tout un artiste. Dans Tao of Jeet Kune Do, Bruce Lee nous enseigne que le sens des arts martiaux, c'est l'expression honnête de soi. Au fond, c'est cela être un artiste.
Musashi ne se limitait pas aux arts de la guerre. Il était aussi un calligraphe et un peintre reconnu. Il s'adonnait également à la sculpture et à l'art du jardin.
Une de ses œuvres m'a particulièrement marqué. Il s'agit d'une représentation de Hotei, l'une des sept divinités du bonheur dans la mythologie japonaise, regardant un combat de coqs.
Si l'art est l'expression honnête de soi, que pensait Musashi lorsqu'il a fait couler cette encre ? Je n'ai trouvé aucune interprétation lors de mes recherches. Je vais donc vous partager la mienne.
Ce combat de coqs me fait penser aux egos que l'on met en jeu dans un duel. Ces animaux semblent similaires, comme s'ils étaient le reflet l'un de l'autre. Hotei, qui observe la scène, semble paisible, concentré. Ce prêtre zen est le dieu de la bonne fortune. On dirait que cette œuvre suggère que la plénitude viendrait de l'engagement total de soi dans le combat contre son propre ego. Étant donné que Musashi a consacré sa vie à la voie de l'épée, cette peinture prend une autre dimension.
« La véritable science des arts martiaux consiste à les pratiquer de manière à ce qu'ils soient utiles à tout moment, et à les enseigner de manière à ce qu'ils soient utiles en toutes choses. »
- Miyamoto Musashi
Le vide
Être fort. Est-ce comprendre le vide ?
À l’ouest de Kumamoto se trouve la grotte Reigandō. Vers la fin de sa vie, Musashi s’y retira pour méditer et écrire Go rin no sho (五輪書), qui se traduit comme Le livre des cinq anneaux, aussi connu sous le nom de Traité des Cinq Roues. La plupart des idées et des citations de cet article en proviennent.
Cet ouvrage est constitué de cinq parties :
- Le livre de la terre : ce premier chapitre introduit métaphoriquement la philosophie du guerrier et des arts martiaux.
- Le livre de l’eau : Musashi y décrit les principes et techniques de base de son école Nito Ichi Ryu (son fameux style à deux sabres).
- Le livre du feu : cette partie traite des tactiques à employer au cours d'un duel et sur le champ de bataille.
- Le livre du vent : ce titre est un jeu de mots, Car le caractère japonais pour “vent” peut aussi signifier “style”. Miyamoto y critique les faiblesses d’autres écoles et de leurs styles de combat à l’épée.
- Le livre du vide : dans ce court épilogue, il expose sa perception de la conscience et de l'état d'esprit à adopter.
Après tant de voyages, de méditations et de duels, la conclusion de l'œuvre de Musashi se concentre donc sur le vide.
Selon lui, c'est en connaissant ce qui existe que l'on peut connaître ce qui n'existe pas : le vide. Il ajoute que c'est lorsque l'esprit est clair, lorsque les nuages de la confusion se dissipent, que l'on trouve le véritable vide.
C'est encore un élément de fascination pour moi. J'ai étudié une centaine de livres de développement personnel. À chaque nouvelle lecture, je note les leçons clés dans un tableau. Croyez-le ou non, mais ma phrase préférée qui y figure est la suivante : “L'illumination est l'espace entre vos pensées”, attribuée à Eckhart Tolle.
Cette idée n'est pas nouvelle et nous vient du bouddhisme. Dans un autre registre, Dubussy (ou Mozart, ou les deux, ou sûrement d'autres) disaient que la musique, c'est le silence entre les notes.
« Faites de l'Esprit réel la Voie ! Pratiquez largement la tactique ! Ne songez qu'à la justice, à la clarté et à la grandeur ! Faites du vide la Voie ! Et considérez la Voie comme "vide"! Dans le "Vide", il y a le bien et non le mal. L'intelligence est "être". Les principes sont "être". Les voies sont "être". Mais l'esprit est "Vide". »
- Miyamoto Musashi
Le Dokkōdō
Être fort. Serait-ce alors de se mouvoir dans le vide ?
En 1645, une semaine avant sa mort, Musashi réunit ses proches pour leur dire adieu et distribuer ses possessions. Il dédia à Terao Magonojō, son élève préféré, le premier Go Rin No Sho (Le Livre des Cinq Anneaux), ainsi que le Dokkōdō.
Imaginez que vous sentez la mort approcher. Il ne vous reste plus que quelques jours pour transmettre quelque chose au monde. Que feriez-vous ?
Ce que fit Miyamoto Musashi, c’est d’écrire 21 principes sur un parchemin, le Dokkōdō. On pourrait le traduire par “Le Chemin de la Solitude”, “Le Chemin pour aller seul” ou “La Voie à suivre seul”.
Comme il a conclu sa vie sur ces idées, je terminerai cet article en vous laissant méditer sur leur sens.
1. Acceptez les choses telles qu'elles sont.
2. Ne cherchez pas le plaisir pour le plaisir.
3. Ne dépendez en aucun cas d'un sentiment partial.
4. Pensez à vous-même avec légèreté et profondément au monde.
5. Soyez détaché du désir toute votre vie.
6. Ne regrettez pas ce que vous avez fait.
7. Ne soyez jamais jaloux.
8. Ne vous laissez jamais attrister par une séparation.
9. Le ressentiment et la plainte ne sont appropriés ni pour soi ni pour les autres.
10. Ne vous laissez pas guider par la luxure ou l'amour.
11. Soyez impartial en tout.
12. Soyez indifférent de l'endroit où vous vivez.
13. Ne recherchez pas le goût de la bonne nourriture.
14. Ne vous accrochez pas aux biens dont vous n'avez plus besoin.
15. Ne laissez pas de fausses croyances guider vos actes.
16. N’amassez pas d'armes et ne vous entraînez pas au-delà de ce qui est utile.
17. N'ayez pas peur de la mort.
18. Ne cherchez pas à posséder des biens ou des fiefs pour votre vieillesse.
19. Respectez Bouddha et les dieux, mais ne comptez pas sur leur aide.
20. Vous pouvez abandonner votre propre corps, mais vous devez préserver votre honneur.
21. Ne vous éloignez jamais de la Voie.
- Miyamoto Musashi - Dokkōdō
Conclusion
Être fort. Je ne saurais dire ce que cela signifie vraiment.
Ces dernières années, j'ai entrepris un long voyage pour explorer ma curiosité, apprendre à me connaître et surmonter mes barrières mentales. J'ai découvert les concepts d'introspection, de stoïcisme, de flow, de skin in the game, d'extreme ownership et de minimalisme. Ces idées ont grandement influencé ma manière de vivre.
En étudiant la vie de Musashi, je me suis rendu compte qu'il incarnait déjà tout cela. Lui n'avait pas Internet ou une bibliothèque de livres de développement personnel accessible en un clic. Il a intégré ces principes en dédiant sa vie à la perfection de son art.
Si cet homme me fascine, c'est parce qu'il ne s'est jamais écarté du chemin. Il menait une vie ascétique. Il est le reflet de ce dont je ne suis pas capable.