J’ai passé une semaine dans la jungle, au Costa Rica, en mode survie.
Káshö, un indigène de la tribu Bribri, a été mon instructeur.
Il m’a appris à :
- Établir un camp
- Construire un abri
- Reconnaître la faune et la flore
- Confectionner des armes et des pièges
- Chasser
Le soir, au coin du feu, il me comptait la cosmogonie Bribri.
Le résultat, c’est ce documentaire de 40 minutes en immersion :
Bon à savoir : La jungle où nous étions se trouve en territoire indigène protégé. La chasse via arme à feu et avec des chiens y est interdite. Seuls les Bribris et les autres tribus ont le droit d’y chasser en utilisant des outils traditionnels. Ils ont d’ailleurs un rôle de protecteurs de la forêt.
Cosmogonie Bribri
Forme du monde
Pour un Bribri, le monde est comme une maison conique divisée en 4 espaces supérieurs. Cette maison est soutenue par 8 piliers (nous y reviendrons), et le toit représente le ciel.
De même, le monde s’enfonce dans le sol sous 4 espaces inférieurs, formant un cône inversé.
Si je n’ai pas été instruit des mystères des mondes inférieurs, Káshö m'a révélé les coulisses des étages qui nous surplombent.
Nous, les humains, vivons dans le premier monde supérieur.
Au-dessus logent Dualok, Boukublu et Diblu, des esprits qui protègent les plantes, les animaux et les eaux.
Le troisième niveau abrite des esprits moins sympathiques, responsables des maladies et du chagrin.
Au sommet réside Sibù, le créateur de toute chose, accompagné d’autres esprits.
Création de la Terre
Selon la légende, la Terre était peuplée d’une race de démons appelés Sòrburus. Je vous passe l’histoire de la guerre entre Sibù et les Sòrburus. Une fois ces démons renvoyés derrière le soleil, la Terre fut laissée stérile.
Cherchant comment ramener la vie dans ce désert, Sibù apprit que sa sœur, Namaìtami avait une fille faite de terre : Irìria.
Sibú envoya alors Dukúr Bulu, une chauve-souris, mordre Irìria pour voir si elle était fertile (au sens premier du terme).
Quand Dukúr Bulu revint, des plantes d’anis et de balsa sortirent de ses excréments.
Il l’envoya une seconde fois pour lui sucer le sang. Cette fois, des arbres sortirent des défécations de la chauve-souris. La troisième fois, Dukúr Bulu tomba dans un piège.
Sibú élabora un plan.
Il organisa une fête pour célébrer la construction d’une grande maison (conique) à Suláyum, qui représente le centre du monde. Il invita Bikakra, la grand-mère d’Irìria, pour procéder à la cérémonie de la boisson sacrée.
Pendant le festival, tout le monde dansa la Sorbón. Dans un élan d’euphorie, Bikakra, qui portait Irìria dans un panier, trébucha d’ivresse. Le sang d’Irìria se déversa sur le sol, formant les rivières, et ses vêtements verts devinrent les plantes. Les danses frénétiques la piétinèrent, formant ainsi les montagnes.
C’est pour cela que, chez les Bribris, lorsqu'on prie la Terre Mère, on s’adresse à Irìria. Dans le documentaire, nous la remercions avant de démonter la cabane.
Création des Hommes
Pour l’occasion, Sibú avait préparé différentes graines qu’il sema dans la Terre. Les différentes couleurs des graines seraient à l’origine des différents grains de peau parmi les peuples indigènes. Chaque clan prit le nom d’une graine.
Sibú créa ainsi les indigènes la nuit, et attendit le jour pour créer “les blancs” à partir d’un autre membre de sa famille, plékeköL. Dans le documentaire, nous avons croisé la représentation de plékeköL, à savoir les fourmis coupe-feuille.
Ces colonies de fourmis dévastent les arbres sur leur passage. Elles ne laissent aucune végétation. C’est ainsi que les Bribris nous perçoivent. Cela fait réfléchir, n’est-ce pas ?
Les 8 métiers traditionnels Bribri
Le peuple Bribri est organisé en clans. Chaque clan est composé d'une famille élargie matrilinéaire. Cela signifie que le clan d’un enfant est déterminé par celui de sa mère.
Les femmes ont une place très importante dans la société Bribri. Elles sont les seules à pouvoir hériter des terres.
J’ai eu la chance de pénétrer dans une usurë, la maison traditionnelle qui a aussi la forme d'un cône, soutenue par 8 piliers.
Ces piliers représentent les huit professions sacrées :
- Successeur de roi
- Chaman
- Chocolatière
- Gardienne de la pierre sacrée
- Médecin légiste
- Maître des cérémonies
- Roi
- Chanteur
Chaque clan est responsable de l'un de ces métiers. Aujourd’hui, deux n’existent plus.
Les conquistadors espagnols auraient massacré les chanteurs qu’ils prenaient pour des sauvages opérant des cultes sataniques. Le clan des rois, autrefois leaders des Bribris n’eurent pas plus de chance. Ne souhaitant pas se plier aux exigences des Espagnols, ils y laissèrent la vie.
Dans la culture Bribri, lorsque quelque chose a été perdu, il est dans l’ordre des choses de l’accepter et de ne pas le remplacer. Ainsi, ces deux métiers se sont éteints.
Je ne vais pas décrire chaque métier, car j’ai peur d’écrire des bêtises.
On peut tout de même retenir que les chamans ou “awa” sont choisis jeunes et doivent, au cours d’une très longue formation, apprendre à maîtriser chaque plante.
Lorsqu’il soigne, l’awa se connecte spirituellement à la nature et au malade. Leur savoir est immense et se transmet oralement. D’ailleurs, dans une usurë se trouvent des bancs en cercle autour du feu. En face de l’entrée trône un hamac, où l’awa s’installe le soir pour enseigner ce qu’il sait aux plus jeunes.
C’est notamment comme cela que Káshö a appris autant de choses.
D’ailleurs, “kasho” signifie “cacao”, l’autre pilier de la culture Bribri.
À l’origine, le cacaoyer était une femme, que Sibú transforma en arbre. Ainsi, ses branches ne sont jamais utilisées pour faire le feu, et seules les femmes peuvent préparer et servir la boisson sacrée.
J’ai eu la chance d’apprendre à faire la pâte à partir de la fève de cacao. Ce sont des amis de Káshö qui m’ont appris alors que je visitais une réserve. Vous retrouverez quelques images dans cette petite vidéo publiée sur Instagram.
Un Bribri sans chocolat, ce n’est pas concevable ! Dans la jungle, nous en avons préparé au moins deux fois par jour pour avoir des forces.
La pâte de cacao se mélange avec de l’eau. Une fois, j’ai demandé à Káshö si cela se faisait de mettre du lait. Il m’a répondu : “Flèche dans le cœur”.
Nature
Les Bribris ont été chargés par Sibú de veiller sur la nature. Pour eux, nous sommes leurs petits frères, inconscients de ce que nous faisons.
Lors de cette aventure, j’ai rencontré Këysh, le meilleur ami de Káshö.
Si Káshö est de nature très calme et pédagogue, j’ai ressenti beaucoup plus de colère chez Këysh. Il condamne les comportements irresponsables des “gringos”. Il en veut au gouvernement du Costa Rica. Selon lui, la prétendue protection de l’environnement et des cultures indigènes ne sont qu’une façade pour récolter des votes.
À travers ses actions, Káshö m’a montré ce que respecter la nature signifie. À chaque fois que l’on prenait, il fallait rendre. Lorsque l'on préparait de la nourriture, on partageait avec la nature. Lors de notre départ, après avoir démonté notre camp, nous avons replanté huit boutures de gavilàn (Pentaclethra macroloba).
Je me souviendrai toute ma vie de Káshö. S’il est petit en taille, son cœur est aussi grand que sa sagesse. Il m’inspire à continuer de voyager, à la rencontre d’autres cultures, pour élargir les œillères à travers lesquelles je vois le monde.